Fais-toi une place dans ce monde, « poursuis la paix, recherche-la »

(Ps 34, 15)

PLACE, n.f. : «situation, position ou disposition de quelque chose ou de quelqu’un par rapport à un ensemble.» (source: CNRTL)

    Combien de romans ou de films, suivent un personnage qui aspire à s’inscrire dans son environnement, dans la vie de son temps ? Rêves de gloire de parvenus, comme Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir, aspiration à fumer la pipe au coin du feu avec sa femme, comme Sam dans le Seigneur des Anneaux, ou découvrir sa vocation, but des aventures de Vaiana au-delà de son île. Mais ça ne concerne pas que la fiction ! Se faire sa place, ce peut être inscrire son identité spécifique dans le monde, depuis l’équilibre entre vie chrétienne exigeante et cadre sociétal, aux revendications des minorités sexuelles, en passant par le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir…

    C’est chacune de nos vies qui est concernée, et qui prend conscience qu’elle ne s’accomplit qu’en lien avec cet extérieur, cet au-delà qui n’est pas nous, et qui nous permet d’être nous. Parfois, la place est claire et offerte : vivre avec les lépreux, comme saint Damien de Molokaï ; reprendre l’entreprise familiale… Parfois il faut la chercher longtemps. Parfois, on dirait qu’il faut créer l’opportunité, jouer des coudes, ou carrément attaquer au marteau ce qui nous entoure pour se faire une place : monde de compétition, de concurrence, de pragmatisme. Est-ce que l’épanouissement de notre vie doit primer sur la paix de l’environnement dans lequel elle s’inscrit ? Guerres civiles ou internationales, injustices sociales, désastres environnementaux… : les ambitions et revendications individuelles ont manifestement leur lot de désolation. Pour autant, la soumission aveugle aux assertions illégitimes des autres individus, des groupes et des sociétés ne paraît pas beaucoup plus satisfaisante.

    Doit-on renoncer à son épanouissement propre pour être en paix avec l’ensemble du réel qui nous entoure ? Doit-on forcément entrer en conflit avec notre cadre de vie pour se réaliser ?

    Peut-être qu’il faut plutôt considérer que c’est parce que l’on cherche à s’inscrire avec bonne volonté dans cet ensemble, que l’on fait nôtres ses désirs de paix et que l’on va y consacrer ses efforts, qu’alors on va y faire et découvrir sa place. Et parfois, cette place reste mystérieuse. À l’occasion de la béatification de quatre Pères de la Congrégation des Sacrés-Coeurs au printemps 2023, nous aurons l’occasion de voir comment se donner tout entier à la paix, sans compromission, c’est parfois mourir.

    Alors il nous reste à savoir ce qu’est la paix, comment la poursuivre, comment la rechercher. Cette paix que l’on désire sans trop savoir quoi mettre derrière : la Paix en Ukraine ? Une journée au spa ? Un panorama de bord de mer ? Cette année, à l’occasion du pèlerinage de Réseau Picpus en Terre Sainte, nous aurons l’occasion de nous mettre littéralement sur ses pas, pour la trouver parfois plus facilement sous les pierres que dans les cœurs. États, peuples et sociétés, familles, entreprises, amis… La paix revêt un visage et des modalités différentes à chaque fois.

    Entre tous ces lieux humains, n’y a-t-il pas une logique commune que l’on peut identifier et décrire ? Une Idée de la paix ? Existe-t-elle dans la Nature, parfois si apaisante et bien organisée ? Philosophes et penseurs ont fait des propositions. Mais le genre de paix qui préoccupe l’Homme semble être seulement un résultat. On ne peut l’atteindre sans viser autre chose. L’intériorité humaine et les mystères de l’âme ont fasciné bien avant l’apparition des états. N’est-ce pas là d’abord que se trouve la paix ? Dans cette connexion avec l’essentiel ?

    Divine paix ? «Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix» (Jn 14, 27). Don de Dieu sur la terre comme au ciel, dans les sociétés comme dans les cœurs, la Paix du Christ ne nous met pas dans une position passive. Elle ne nous anesthésie pas. «Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur … et vous trouverez le repos pour vos âmes.» (Mt 11, 29) invite Jésus, qui sera crucifié, le cœur ouvert par la lance d’un Romain.

    Certes, pour le chrétien, Jésus est lui-même la Paix, qui fonde un Royaume où la vie humaine, les actions, les institutions de la terre deviennent «comme au ciel», en unifiant avec sens des parties contraires (Juifs/païens, corps/âme, divin/créé…). Mais il en est une qui l’enfante en nous dans la douleur : Marie, Notre-Dame de Paix. Sa tendresse nous réconforte, mais nous donne aussi la force de combattre. Son Cœur devient porte de la paix pour nous quand il est transpercé de compassion ; son accueil du Christ renverse les fausses paix dans le Magnificat (Lc 1, 46-55). Toute sa vie est de donner la vie, au prix requis. Dans le combat contre le péché, ennemi de l’humain parce qu’ennemi de Dieu, et donc ennemi de la paix, Elle se tient debout.

    Peut-être que c’est cela, le début de la Paix. Rester debout.

    Encore faut-il savoir comment.

Votre équipe LAE