« Laisse et va. »
cf. Gn, 12
Une courte phrase qui cache des enjeux forts. Car, oui, pour entreprendre quelque chose, il est conseillé de se munir d’éléments adaptés : pas d’espadrilles pour une randonnée, pas un pinceau de taille fine pour repeindre son salon… Mais souvent, et surtout à notre époque matérialiste, ce qui nous manque pour avancer dans notre vie, c’est laisser quelque chose derrière soi.
« Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai… » : cette promesse de Dieu à Abraham en Genèse (ch. 12) n’est rien de moins que le début de la grande bénédiction qui fera d’un vieil homme sans enfant le Père de tous les croyants.
« Laisse, et va ». Laisser n’est pas abandonner. C’est lâcher pour pouvoir initier un autre mouvement librement. Ce n’est pas laisser tout pour se fondre de façon impersonnelle dans un cosmos dénué de visage, comme dans le bouddhisme. C’est s’alléger et savoir dire au revoir — ou adieu — pour accomplir ce qui nous est confié comme mission.
Mission ? Eh oui. Chacune de nos vies en est une. Mission vient du latin « mittere », envoyer. Nous sommes « envoyés » dans l’aventure sublime de la vie et nous coïncidons dans le temps et l’espace avec une toute petite partie de l’humanité ! Mais avant de savoir quelle est notre mission, notre engagement, et donc, ce qui nous demanderait de « laisser » des choses, il faut d’abord … recevoir.
Se savoir aimé sans condition préalable, sans avoir à justifier son existence. Est-ce qu’on demande au nourrisson ce qu’il fera plus tard ? C’est soutenu par cette promesse d’être aimé, la promesse du Christ par excellence, mais esquissée ailleurs dans notre existence par d’autres figures bienveillantes de notre entourage (grands-parents, amis…) que nous pouvons donner notre propre réponse. Faire passer l’amour reçu en amour donné, et aimer non pas « en paroles, mais en actes et en vérité » (1 Jn 3,18).
Et notre réponse a des conséquences sur le monde et sur l’éternité.
Par action, ou par omission.
C’est ce qui a poussé tant et tant d’hommes et de femmes à laisser souvent leur famille et leur pays pour rendre amour pour amour envers ce Jésus qui s’est livré pour nous, et pour communiquer sa Vie à ceux qui ne l’avaient pas.
C'est ainsi qu'un petit paysan de Flandres a laissé son nom, sa famille, son continent, pour partir à l’autre bout du monde, et secourir les lépreux d’Hawaï dans leur abandon spirituel et matériel jusqu’à devenir l’un d’entre eux. Joseph de Weuster est devenu, sans changer, Saint Damien de Molokaï.
Toi et moi, et nous tous de Réseau Picpus, sommes invités à relire notre vie autour de ce schéma mystérieux ancré au coeur de l’Homme. Qu’est-ce qu’on a à laisser ? Vers où ? Pour qui ?
Théâtre, chants, prière, films, randonnées, pèlerinage sur les pas de ce Damien… nous aideront à le discerner.
Et que les nombreux missionnaires partis de Picpus il y a 200 ans exactement — le 13 septembre 1826 — sous le regard de Notre-Dame de Paix, nous assistent.